
Depuis l’aube de l’informatique, les humains ont rêvé d’élaborer des supports capables de transporter nos souvenirs et de préserver nos esprits. Le téléchargement de l’esprit est encore à au stade de la science-fiction. Et pourtant, certains des plus grands neuroscientifiques du monde croient que cette technologie est pour bientôt.
Mais si nous pouvions télécharger nos esprits, devrions-nous vraiment le faire ? Certains voient cela comme étant la prochaine étape de l’évolution humaine. D’autres craignent que la promesse de l’immortalité n’ait été survendue et que l’envoi des données de nos cerveaux vers un Cloud pourrait avoir des conséquences désastreuses (Film : Transcendance).
« Je pense que le téléchargement est possible, je ne pense pas que ces ajouts de données seront le vrai nous » dit Susan Schneider, philosophe qui étudie la nature de l’esprit et de la conscience. « Cela pourrait être une bonne technologie pour de nombreuses raisons, mais nous avons vraiment besoin de réfléchir aux implications ».
Schneider n’est pas la seule à prendre cette science-fiction très au sérieux, les philosophes de l’institut d’Oxford sur l’évolution de l’humanité ont récemment écrit un rapport sur les exigences technologiques pour l’émulation de tout le cerveau. Mais il n’y a rien de plus sérieux que ce projet selon Randal Koene, un neuroscientifique et ingénieur dont le but dans la vie est de transférer les données de son cerveau et celles de l’humanité à un ordinateur.
« L’esprit est basé sur le cerveau, et le cerveau, comme toute la biologie, est une sorte de machine », a dit Koene. « Ce qui veut dire que nous parlons de traitement de l’information dans une machine ».
Qu’on le veuille ou non, du point de vue informatique, votre cerveau pourrait être une version plus large, plus complexe de celui d’un insecte.
Pour Koene, le rêve de transformer cette « machine biologique » en quelque chose d’artificielle a toujours été profondément personnel. Etant enfant, il se sentait gêné par les contraintes de son propre corps et de son esprit et se demanda comment ces limitations pourraient être surmontées.
« Il y a tellement d’explorations que je voudrais faire, mais je ne peux pas toutes les réaliser parce que mon cerveau ne fonctionne pas assez vite et je ne vivrai pas assez longtemps pour mener à bien tous les projets » a-t-il dit. « Si vous avez un ordinateur et que vous voulez faire mieux, vous pouvez comprendre comment le faire. Donc je pensais à comment améliorer l’esprit ? Comment pourrais-je avoir une meilleure mémoire et un cerveau plus rapide ?
La solution était simple : créer un nouveau cerveau qui peut être amélioré au fil du temps.
« Comme toute espèce, le fait que nous avons des limites dans notre capacité d’adaptation aux différents défis est un risque énorme dans l’avenir à long terme », a déclaré Koene. « Avoir un esprit qui peut travailler dans différents environnements et peut changer ce qu’il est capable de faire correspond à une adaptabilité à long terme ».
Lorsque Koene était à l’université dans les années 90, le concept d’émulation du cerveau existait à peine. Il se concentra alors sur les matières pouvant lui procurer des moyens de lutter contre le problème comme la physique, la théorie de l’information et l’ingénierie électrique. Il a obtenu un doctorat en neuroscience computationnelle à l’Université McGill en étudiant comment les souvenirs sont formés et transférés.
Depuis la fin de ses études, la stratégie de Koene a été de déterminer une feuille de route vers l’émulation complète du cerveau, passant d’un objectif à l’autre poussant les problèmes de la recherche en rassemblant les connaissances et en développant un réseau de personnes partageant les mêmes idées. Suite à un poste de chercheur dans un laboratoire de neurophysiologie et un passage en tant que directeur de la neuro-ingénierie de l’institut Fatronik-Tecnalia en Espagne, en 2010, Koene a décroché un emploi afin de diriger des recherches à Halcyon Molecular, une start-up biotechnologique soutenue par les cofondateurs de PayPal, Peter Thiel et Elon Musk.
« Ils [Halcyon] voulaient se faire de l’argent en créant la synthèse de l’ADN et en l’utilisant pour stimuler la croissance dans l’intelligence artificielle » a déclaré Koene. « C’était un endroit parfait pour moi parce qu’ils m’encourageaient à progresser dans l’émulation complète du cerveau« .
Pendant que Koene était à Halcyon, il a forgé une relation avec Ed Boyden, un neuroscientifique computationnel du MIT.
« J’ai invité Ed à donner une conférence, et nous avons fini par discuter de la façon par laquelle nous pourrions enregistrer l’activité du cerveau » a déclaré Koene. « Il a pris en note les idées dont nous avons discuté et de retour au MIT, il a formé un groupe sur la cartographie de l’activité physique cérébrale ».
Ce groupe dont le but explicite était de cartographier l’activité de chaque neurone dans un cerveau de souris dans les locaux du MIT a attiré l’attention de Washington et a ainsi motivé l’Initiative d’Obama sur l’Administration du Cerveau (Recherche du cerveau impliquant des innovations neurotechnologiques). La DARPA et l’effort soutenu de NIH ont pris en charge des outils de renforcement permettant aux chercheurs de cartographier l’activité de 100 milliards neurones impairs dans le cerveau humain.
En 2013, un effort encore plus ambitieux appelé « Humain Brain Projet » (Projet du cerveau humain) a été formé à travers l’Atlantique. Avec plus de 100 institutions de recherche ayant un milliard d’euros de capital de départ, ce programme ainsi soutenu par l’UE travaille à créer des superordinateurs de simulations intégrant tout ce que nous savons sur la façon dont le cerveau fonctionne.
« La nécessité de l’enregistrement fonctionnelle du cerveau se fait actuellement », a déclaré Koene. « Cela m’a conduit à recentrer ma mission »
Le connectome est un plan complet des connexions neuronales du cerveau, ce qui permet aux neuroscientifiques de visualiser toute l’activité du cerveau qui produit nos pensées et nos souvenirs.
Lorsque Halcyon Molecular a tranquillement fermé en 2012, Koene a formé CarbonCopies.org, une organisation qui sert de plaque tournante pour un réseau croissant de défenseurs de « l’esprit-téléchargement ». Koene a cartographié la structure et les fonctions du cerveau humain et a développé le matériel qui va exécuter nos esprits téléchargés.
A l’heure actuelle, cela implique de travailler avec les architectes de la puce CM1K, la puce la plus avancée des puces neurophormiques qui imitent la façon dont notre cerveau traite l’information. Selon Koene, CM1K, qui comprend plus d’un millier de neurones synthétiques, est actuellement développé et affiné pour la tâche de l’émulation complète du cerveau.
Dans un sens, les quatre piliers de la feuille de route de « l’esprit-ajout » qui cartographie la structure et la fonction du cerveau, créant le logiciel et le matériel pour l’émulation sont maintenant des zones de recherche active. Si nous avons la vision optimiste de Koene, dans une décennie, nous aurons la capacité technologique pour émuler pleinement un cerveau comme celui d’une mouche, qui contient environ 100 milliers de neurones. Et voila où l’idée de numériser le cerveau humain devient réel.
« Si vous avez les outils pour obtenir les données à partir d’un cerveau drosophile, en principe, vous pouvez faire la même chose pour le cerveau humain », a déclaré Koene. « Les neurones, les synapses et les cellules gliales sont très similaires. De ce fait, il devient un problème économique et politique. « Les estimations de la quantité de mémoire qu’il faudrait pour stocker un cerveau humain varient considérablement, passant d’environ un à mille téraoctets (il faudrait environ 10 téraoctets pour stocker la Bibliothèque du Congrès).
Ce qui nous ramène à la question de savoir si oui ou non le téléchargement de l’humanité sur une puce est une bonne idée. Cela peut dépendre en grande partie de ce que nous essayons de réaliser. Si nous essayons simplement de préserver les connaissances et l’expérience contenues dans nos esprits, les copier dans le domaine virtuel semble une voie logique. Mais si le but est l’extension de la vie, le transfert de la conscience humaine à un ordinateur semble fortement discutable.
Bien que nous aillions fait des progrès phénoménaux à cartographier la structure du cerveau humain, nous savons encore très peu de choses sur l’origine de la conscience étant la base de notre expérience intérieure.
« La beauté de notre existence est que nous ne sommes pas seulement en train de traiter des informations, nous ressentons » dit Schneider. « Il pourrait y avoir des espèces faisant le même traitement d’information que nous faisons mais sans avoir d’expériences intérieures ».
Si nous créons le téléchargement de cette capacité sans comprendre ce qu’est la conscience, nous pouvons par inadvertance nous suicider numériquement.
« Il se pourrait que le silicium soit un moyen formidable pour ce procédé, il ne peut néanmoins contenir la conscience ».
Même si la conscience peut être reproduite dans le silicium (comme de nombreux scientifiques croient), il y a un autre problème plus troublant : votre téléchargement serait probablement une véritable extension de vous.
« Si vous téléchargez votre cerveau, votre cerveau biologique existera toujours, cela sera une simple prolongation de vous-même ».
Comme l’explique Schneider, l’idée qu’une personne puisse atteindre l’immortalité grâce à ce procédé est fondée sur l’hypothèse que l’esprit humain est essentiellement un programme, ainsi celui-ci peut être copié et exécuté dans un autre média, le film « Chappie » illustre cette immortalité.
Koene prend une tactique radicalement différente du problème des deux corps. Il soupçonne notre interprétation de la conscience, comme une qualité liée à un seul esprit. Tout comme notre compréhension du monde physique est filtrée à travers les cinq sens, où la définition du soi est intrinsèquement liée à notre expérience biologique limitée.
« Si vous téléchargez votre cerveau, votre cerveau biologique existera toujours, cela sera une simple prolongation de vous-même » a-t-il dit. « Je pense que beaucoup de nos craintes à ce sujet proviennent du fait que nous avons une compréhension très naïve et simple de la façon par lequel le « moi » se manifeste ».
Si vous avez toujours des questions sur le transfert de la conscience, le clonage numérique et que vous croyez que rien de tout cela n’est encore possible. Prenez garde, car vu comme le monde numérique s’est développé, nous avons intérêt à mettre des limites (ou non) avec notre relation à la technologie.
La décision de transférer notre cerveau à un support informatique a ainsi différents objectifs. Elever l’intelligence de l’humanité, tromper la mort ou laisser une copie virtuelle de nous-mêmes pour poursuivre nos projets terrestres sont tous des désirs insatiablement humains. Mais les récompenses valent-elles le risque ? Voila un choix difficile auquel nous serons prochainement confrontés.